Tes yeux surpris, deux agates bleues
Dessinent aujourd’hui des amandes parfaites
Aux couleurs changeantes, bleue et vertes
Grands ouverts sur le monde, tes yeux
Qui en ont vu de toutes les couleurs
Alice qui rit, Alice qui pleure
Pendant de longues années, cette boîte en carton vert marbré, fermée par un ruban noir, demeura sur un coin de la cheminée. Je finis par l’oublier au fil des mois, par oublier pourquoi elle était posée là, presque tristement. Par la voir sans la voir. Une présence absente. La présence compacte d’une absente, Jeanne. Je n’avais jamais ouvert cette boîte depuis le départ de ma grand-mère, Jeanne. C’était son legs, son bric-à-brac, le chuchotement d’une voix familière et lointaine au creux de mon oreille ; un léger battement de cil, fermer les yeux sur les souvenirs qu’elle avait capturés pour moi, sa petite-fille Elsa. Elle avait écrit mon nom d’une main tremblotante sur une vieille étiquette jaunie, collée là, au centre de la boîte, très légèrement de travers. Et puis une date, juin 1985, quelques mois avant sa chute.
On ne compte plus les années
Les enfants sont grands
Les saisons se ressemblent, parfums d’été
Du bois à couper, des framboises à cueillir
Les arbres de Noël sont devenus géants
Les petits enfants n’en finissent pas de grandir
Bien sûr, Il y des petites rides au coin des yeux
Un dos un peu voûté, le genou se rebelle
Contre les années, il y a ceux et celles
Qui les ont quittés, photos, lettres à l’encre bleue
Ceux qui passent au loin, en hivers ou en été
On ne compte plus les années
C’était un matin vif et glacé. Elisa, emmitouflée, les yeux à demi fermés, marchait en sautillant jusqu’à la gare, en respirant à petites bouffées pour empêcher le froid d’envahir ses poumons. Les rayons du jour qui s’annonçait diluaient lentement la nuit bleutée.
Le film d’une vie en épisodes
Sous-titre français, allemands, arabes
Un piano l’accompagne
Musique de Bach ou de Mozart
Le temps a un parfum de Provence
Les livres respirent sur les rayonnages
La chambre aux tapis est son isoloir
Partir. Fermer la porte. Glisser les clefs dans la boîte aux lettres. Descendre la rue jusqu’au métro. Je ne peux me résoudre à quitter cet endroit, pourtant trop petit, bruyant, mal situé.
Mon pas résonne dans les pièces vides.
Je circule de pièces en pièces. Je revois ma première visite. Cette enfilade de pièces qui m’avaient semblées vastes. Mon imagination qui dessinait l’emplacement de chaque meuble, de chaque objet. Puis, le soir venu, mes trous de mémoire qui me faisait douter de l’emplacement d’une cheminée, d’une porte ou d’une fenêtre.
Le passé tressé avec soin et raideur
Caressant la fraîcheur des courbes d’un cou
Se faufile, perdu, loin et en pleurs
A Jean-Pierre Bellan, 25 Mai 2017
Le bleu d’un jean usé, bleu des pigments
Palettes éparpillées, ocres et carmins
La mer bleue d'Alger, dans le lointain d’avant
Le bleu des campanules, jardin après jardin
“Softly, in the dusk, a woman is singing to me;
Taking me back down the vista of years, till I see
A child sitting under the piano, in the boom of the tingling strings
And pressing the small, poised feet of a mother who smiles as she sings.” D.H Lawrence, Piano (1, 1-4)
« Ben, Ben, réveille-toi…réveille-toi ». Emilie chantait doucement dans l’oreille de Ben, une main posée sur son ventre. Ben se retourna en grognant. C’était le milieu de la nuit, une nuit d’été moite et sans lune.
Joseph est méconnaissable sous son armure étincelante de chevalier et cette idée l’enchante. Passer devant la maison de Mme Robert la voisine sans avoir besoin de dire bonjour. Descendre le petit chemin de l’école, d’un pas lourd, en faisant trembler la terre sous ses pieds tout en tenant fièrement Zénon en laisse. Il sent tous les regards braqués sur lui. Les femmes sur le pas de leurs portes, effrayées, rappellent leurs enfants et se calfeutrent à l’intérieur de leurs maisons en attendant que Joseph soit passé.
C’est un rêve qui revient souvent. Je suis blottie dans ses bras. Enfant. 3 ou 4 ans. Plus peut-être. C’est un homme brun d’une trentaine d’années. Je le connais à peine et pourtant je le reconnais. Mon père. Souvenirs fabriqués recomposés à partir de photos ou de récits.
L’avion atterrit au petit matin, par un jour de grand vent. Lors du décollage, sa voisine s’était présentée : « Samantha Brown, on m’appelle Sam » et lui avait demandé s’il venait pour affaires ou en vacances. Il avait murmuré pour toute réponse, sans la regarder : « Paul Lullies, je viens en pèlerinage ».
Malgré sa taille imposante et le feu qui brûle en lui, Zara n’a jamais peur des colères de Zénon. Depuis qu’il est tout petit, elle lui parle d’une voix douce, et Zénon suit docilement ses instructions.
Ils sont là, bien rangés sur l’étagère de la chambre jaune. Il y en a de toutes les tailles, des petites des grands et longs, des feuillus et des tout minces et de toutes les couleurs, des rouges, des bleus, des verts ou des jaunes, foisonnant de dessins colorés ou remplis de texte noir écrit serré. Hippolyte les aime tous, particulièrement depuis quelques mois, depuis qu’il sait lire, tout seul.
Un hiver ou un été
Je partirai dans le froid ou dans le soleil
Dans un cristal de neige étoilé
Clara sortit son carnet bleu et nota : « cet homme assis à ma gauche se moque -t’il de moi ? » Elle noircit son carnet de plusieurs points d’interrogation avant de reposer son crayon. Elle fit glisser son regard vers la table en terrasse où l’inconnu lisait, paisiblement. « Soleil couchant », Faulkner, éditions Folio, le livre qu’elle venait d’achever, l’avant-veille, assise exactement à la même table de café, place Gambetta.
Un matin de septembre, le Canada m’est apparu comme la destination de mon voyage. Bill, mon patron, m’a encouragé à prendre « le temps qu’il faudrait ». Mes collègues de bureau sont venus me serrer la main en silence.
Tu attends sans impatience que la nuit enveloppe la maison. Souffle les bougies. Diffuse un silence épais qui amortit les bruits. Tu sais le moment propice. Tu glisses hors de ton lit. Il craque à peine. Pieds nus sur le parquet. Tu ouvres doucement la porte de ta chambre. Avances le pied droit sur le dallage du couloir. Le contact est froid mais tu préfères sentir chaque dalle sous tes pieds nus. Surtout éviter la dalle descellée qui tinte sous les pas.